lundi 6 avril 2020

06.04.20

La journée avait bien commencé. Elle se termine avec le décès du père de l’un de mes élèves. La mort, quoi. Je déteste ce mot trop poli de « décès ». Ce mot que l’on prononce du bout des lèvres, pour rendre l’événement plus propre, plus administratif, plus rassurant. Le père de ce gamin est mort.

Je n’avais pas prévu d’écrire là-dessus car je n’avais pas prévu qu’il meure. Je n’ai pensé qu’à H. aujourd’hui, et à mon angoisse de la voir refuser de manger, de la voir balancer sa cuillère avec un mélange de rage et de joie innocente. Je voulais écrire sur l’angoisse à moitié irrationnelle, je voulais écrire sur le fait de ne pas vouloir donner trop d’épaisseur à tout ça, pour ne pas alimenter mon anxiété. Je voulais écrire sur le fait de ne pas écrire, comme d’habitude.

Et puis le père de M. est mort.

Est-ce que cela me fait relativiser mes propres angoisses ? Est-ce que je pense à H. en me disant que finalement je suis bien chanceuse ? Oui... non. Je pense surtout à M. que j’ai si souvent houspillé, à son bégaiement, à ses crises de colère et à l’antipathie qu’il m’inspire souvent. Je pense à ce qu’il racontait à la classe au début de l’épidémie et à la manière dont je l’avais fait taire. Je pense au fait que l’école pour lui ne sera pas un réconfort car elle ne l’était déjà sans doute pas avant...

Et H. qui ne mange pas...

La journée avait bien commencé. J’ai contemplé ma fille jouer avec ses jouets comme elle le fait si bien, avec ses mains et ses pieds, ses petits doigts en araignée et ses longs cils qui battent contre ses joues. J’ai pensé qu’aujourd’hui tout irait bien.

Et puis le père de M. est mort.

lundi 9 avril 2018

Avril

09.04.18

Ce week-end, nous avons remis Gisou à la mer. Je dis remis, bien que Gisou n'ait, à ma connaissance, aucun vécu de pirate ou de marin. Cela me fait sourire d'imaginer son visage de gentille maîtresse d'école avec un cache-œil. C'est de toute façon tout ce qu'il nous reste d'elle ; sa voix douce, son regard rieur, et son rire étouffé derrière un verre de rosé. Nous avons remis Gisou à la mer, et une mouette nous a accompagnés tout au long du voyage, jusqu'à la bouée cardinale qui alerte le marin d'un danger imminent à l'est. La mer de Dieppe a avalé ses cendres. Elles nourriront les poissons et viendront se noyer dans l'écume des vagues, chatouilleront les pieds des baigneurs frileux. Elles se mêleront à celles d'autres, qui, comme elle, n'ont pas voulu d'une sépulture terrestre et ont fait de la Manche leur dernier lit. Au retour, un ferry qui se rendait en Angleterre a croisé notre route. Ses voyageurs ne se doutaient pas qu'ils passaient près d'une ancienne maîtresse d'école qui écrivait des poèmes majestueux, qui a caché une blessure à son sein pendant des années, et qui riait derrière un verre de rosé.

Au revoir Gisou.

Source : ici

lundi 2 avril 2018

Phèdre

30.03.18

Et où es-tu aujourd'hui ? Je te cherche, je t'appelle, je regrette. C'était fort, c'était l'hiver, c'était les loups qui hurlaient et qui nous ont tant effrayés, toi, lui, moi, et elle. La terreur est venue par sa bouche, elle a dit, elle a parlé, tu lui en as voulu. Tu as eu tort. D'où parlait-elle ? Du plus profond de ton désir, flou pour elle, éclatant sublime pour nous ? C'était un être brillant, capable de saisir toutes les nuances de nos éclats. Tu le savais depuis toujours, d'ailleurs, tu l'as prénommée ainsi. Où est-elle à présent ? Et surtout, où nous sommes nous ? Devenus des fantômes qui hantent ses petites années, une lumière de sa main dans la mienne, de sa joie qui te couronnait et qui t'a fait pleurer, de ces jours merveilleux que l'on aurait voulu prolonger à n'en plus finir... Tu nous as offert le plus beau des cadeaux, et maintenant je ne sais pas où tu es, et tu me manques. Cette abîme où tu rôdes, c'est moi qui t'y ai plongé, je le sais. Est-ce que je m'en veux ? C'est à la peur que j'en veux, celle qui nous a tout pris, pendant un trop long hiver à cheval sur deux années.

J'écris en regardant tes images que j'ai tant aimées, ces images coupables d'en avoir trop dit, à trop de monde. J'aimerais continuer à écrire sur elles, parce que c'est la seule chose que je sais faire. Sur tes images qui me mettent en transe, sur lesquelles je me balance en écoutant les loups hurler à notre porte. Ces loups, t'ont-ils dévoré, toi aussi ? Où es-tu ? Dans l'estomac de ces prédateurs qui t'accusaient d'en être un ? Les larmes ne coulent pas, j'ai trop pleuré. Tu ne m'as pas vue devant ta porte, à tambouriner en espérant pouvoir la défoncer pour te sauver. Quelques heures plus tard, le sang coulait dans ma ville, et j'ai su que plus rien ne serait jamais pareil. Où es-tu désormais ? Dans le ventre du loup ?

Jillian Freyer - from Peculiar Foliage

mardi 6 mars 2018

Ces romans morts

06.03.18

Je traîne en moi des milliers de lignes jamais écrites, depuis l'enfance. C'est une constante, pratiquement une manie. Elles flottent dans un coin de ma tête, viennent me tracasser quelques heures, jours, semaines, avant de s'enfuir comme elles viennent, quel que soit le traitement que je leur réserve.

J'ai passé du temps à essayer de comprendre pourquoi je n'arrive pas à écrire. J'y ai peut-être passé plus de temps qu'à réellement essayer d'écrire... Cette ironie me fait sourire de travers. La vérité, c'est que

[pause]

La vérité, c'est que pour une fois, mon corps et mon âme sont peut-être réellement alignés, comme la lune et le soleil ; l'éclipse totale. Le noir. Rien n'y poussera jamais.











En écoutant l'émission de Gallienne sur Jean-Luc Lagarce, je me suis surprise (ce n'est pas vrai, je n'étais pas surprise) à me dire que nous avions beaucoup en commun. Sur le milieu dont nous venons, sur le désir de "faire avancer le schmilblick" en littérature, sur cette mélancolie qui nous couronne ; car c'est bien de cela dont il s'agit, cette mélancolie comme un piédestal, qui nous vaut d'être couvé d'inquiétude et de remords de la part de ceux qui nous aiment.

"Et nous, nous nous sommes fait du mal à notre tour,
chacun n’avait rien à se reprocher
et ce ne pouvait être que les autres qui te nuisaient et nous rendaient responsables tous ensemble, moi, eux, et peu à peu, c’était de ma faute, ce ne pouvait être que de ma faute.
On devait m’aimer trop puisque on ne t’aimait pas assez
et on voulut me reprendre alors ce qu’on ne me donnait pas,
et ne me donna plus rien,
et j’étais là, couvert de bonté sans intérêt à ne jamais devoir
me plaindre,
à sourire, à jouer,
à être satisfait, comblé,
tiens, le mot, comblé,
alors que toi, toujours, inexplicablement, tu suais le malheur
dont rien ni personne, malgré tous ces efforts,
n’aurait su te distraire et te sauver.
Et lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quittés, lorsque tu nous abandonnas, je ne sais plus quel mot définitif tu nous jetas à la tête,
je dus encore être le responsable,
être silencieux et admettre la fatalité, et te plaindre aussi,
m’inquiéter de toi à distance
et ne plus jamais oser dire un mot contre toi, ne plus jamais même oser penser un mot contre toi,
rester là, comme un benêt, à t’attendre."
Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, 1990. 

 Une position confortable ? Je n'en ai jamais tiré aucun plaisir, ça je peux le jurer. J'ai toujours eu honte à l'idée que l'on puisse lire en moi, car il me semble qu'il n'y a rien de beau à voir, et que n'importe qui aurait le cœur retourné de voir le mien gangrené.

J'ai pensé à moi en écoutant Gallienne lire Lagarce, et en écoutant Lagarce lui-même, parce que je ne sais pas faire autre chose. Et puis, je me suis souvenue que moi, je n'avais toujours rien écrit.

samedi 19 août 2017

Rétro-journal 12.04.17

12.04.17

Il semble que ma peau devient de plus en plus sensible à la chaleur, qu’elle se pique toujours plus facilement d’un rose saignant dès qu’un rayon de soleil trouve impitoyablement sa place. Je deviens une sorte de créature hivernale qui se sur-adapterait à un environnement dans lequel elle ne vit pas. Ma peau réclame la Scandinavie, mon corps reste cloué sur un sol trop chaud. Je suis née dans le Sud, et ma voix intérieure en a l’accent.

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Dans quelques jours, je retrouverai l’un de mes amis les plus chers, qui est aussi celui sur lequel j’en sais le moins, et que je vois le moins souvent. C’est une amitié clandestine qui dure depuis plusieurs années, et que je partage désormais avec celui que je vais bientôt épouser. Il y a encore quelque temps, je voulais jalousement conserver cette relation à l’abri des regards indiscrets, même si dans le même temps, j’aurais aimé crier au monde entier à quel point mon ami était incroyable. Il faut croire que tout se dompte, s’apprivoise, même les amitiés les plus secrètes et énigmatiques.

mercredi 9 août 2017

Le moment-phare


Empreintes sur négatif - Une photo prise exactement à l'instant dont je parle plus bas

Assise sur un banc, le long de la promenade qui fait face à l'île de Batz, à Roscoff, j'ai vécu avec A., ce que, depuis mon adolescence, je nomme en mon for intérieur un "moment-phare". Je n'ai pas trouvé de terme plus approprié, bien que celui-ci ne me satisfasse pas complètement. Il s'agit de ces instants où la conscience s'ouvre pleinement et saisit dans un même élan la sensation du présent et et celle de la nostalgie à venir. Dans mon cas, ces "moments-phare" s'imposent parfois à moi de façon très brutale et inattendue. C'était surtout le cas dans mon adolescence. Je me souviens d'une course effrénée entre le gymnase du lycée et le vestiaire (situé loin de celui-ci), à plusieurs, par crainte de manquer le bus qui nous ramènerait chez nous, après un cours qui s'était prolongé. Je revois avec netteté la nuque du garçon qui courait furieusement devant moi, tous deux emportés par le même élan. Mais au-delà de cette vision émouvante, je me souviens surtout très nettement de cette sensation de pleine conscience qui s'était révélée à moi, comme une épiphanie. Je me souviendrai toute ma vie de cet instant, j'en étais sûre, et c'était d'autant plus troublant que j'avais peine à comprendre pourquoi. Ce moment n'avait en effet rien de spécial — ce n'était certes pas la première fois que nous avions à courir pour attraper un bus ! Mais ce jour là, à cet instant, il y avait peut-être un supplément d'âme dans l'énergie investie dans cette course, il y avait peut-être la précision de nos gestes, la chorégraphie miraculeuse de notre course... Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que ce fut là mon premier "moment-phare" conscientisé sur l'instant. Je l'avais d'ailleurs consigné dans mon journal de l'époque.

Depuis, il y en a eu d'autres, évidemment, mais au sortir de l'adolescence, le surgissement brutal de cette sensation s'est estompé pour laisser place à une infusion plus lente. Assise sur ce banc de Roscoff, devant ce paysage sublime, j'ai senti monter doucement en moi la sensation du "moment-phare" et l'ai laissée me gagner — c'était délicieux. C'est pourtant un plaisir maudit puisque aussitôt conscientisé, on s'en éloigne. Le moment-phare nous rend spectateur de nous-mêmes dans un instant où l'ouverture de la conscience à son maximum nous rapprocherait pourtant du soi le plus pur, du noyau caché sous la couche de l'expérience, de l'acquis, des compromis et des mensonges. C'est l'instant fugace où l'on croit enfin s'atteindre soi-même mais où l'on procède enfin par un léger détour pour s'observer en train de s'atteindre — et ce n'est donc déjà plus la même chose. Les moments-phares sont pourtant précieux parce qu'ils sont rares, et parce qu'il s'agit du moment de conscience pleine où la mémoire se fixe, comme un instantané, sans que nous l'ayons vraiment décidé, mais avec notre accord entier. Ils me fascinent, car si je devais feuilleter l'album-photo de mes "moments-phare", je trouverais sans doute un fil rouge invisible qui les relie les un aux autres, et qui est peut-être le même qui me lie au monde, aux autres. Mais peut-on vraiment voir de quoi ce fil est fait, dans quelles matières il est tressé ? Et si tout cela n'était que la résurgence de "l’apparition fortuite et bouleversante de la conscience de soi", pour citer Sartre, née dans l'enfance ? Je ne peux résister ici à citer le passage du roman de Richard Hughes, Un cyclone à la Jamaïque, dont Sartre se sert lui-même pour évoquer cette épiphanie enfantine (vous pouvez le retrouver également ici puisque c'est ce billet qui m'avait menée vers l'oeuvre de Sartre puis celle de Hughes) :

“(Emily) avait joué à se faire une maison dans un recoin tout à fait à l’avant du navire… fatiguée de ce jeu, elle marchait sans but vers l’arrière, quand il lui vint tout à coup la pensée fulgurante qu’elle était elle… Une fois pleinement convaincue qu’elle était maintenant Emily Bas-Thornton… elle se mit à examiner sérieusement ce qu’un tel fait impliquait… Quelle volonté avait décidé qu’entre tous ces êtres du monde elle serait cet être particulier, Emily, née en telle année parmi toutes celles dont le temps est fait… Était-ce elle qui avait choisi ? Était-ce Dieu ? … Mais c’était peut-être elle qui était Dieu… (…) Elle fut saisie d’une terreur soudaine est-ce qu’on savait ? Savait-on, c’était là ce qu’elle voulait dire, qu’elle était un être particulier, Emily – peut-être même Dieu – (pas n’importe quelle petite fille) ? Sans qu’elle sût dire pourquoi cette idée la terrifiait… A tout prix, cela devait rester secret…”
(Au passage, l'adaptation cinématographique de Mackendrick est excellente aussi)

Il y a un photographe qui, à mon goût, donne au "moment-phare" une incarnation visuelle bouleversante. Il s'agit de Patrick Taberna. Cet homme a beaucoup photographié ses enfants de manière légèrement décentrée, comme si la mise au point avait été modifiée au dernier moment, dans l'un de ces instants où la conscience s'ouvre et se détourne d'elle-même dans un même mouvement. Les titres de ces séries évoquent beaucoup de choses en moi : De sable et de vent, Mémoire morte, Au fil des jours...






mercredi 2 août 2017

Arles 2017

Depuis 2015, nous nous rendons tous les étés aux rencontres photographiques d'Arles. La photographie est un art qui s'est révélé à moi sur le tard, grâce à deux ou trois artistes dans un premier temps, à la lecture de La chambre claire de Roland Barthes ensuite. Bien que ma culture reste encore très lacunaire sur le sujet, la photographie me passionne ; je suis toutefois une bien médiocre photographe ! Il me semble que je reste très en surface du sujet, que mes choix de cadrage se révèlent toujours approximatifs, voire carrément mauvais, que j'ignore tout de l'art de la lumière. Je n'en suis que plus admirative de ces artistes, qui, qu'ils fassent ou non poser leurs sujets, savent saisir l'essence d'un être, d'un objet ou d'un lieu, et révéler à l’œil attentif sa lumière propre. C'est à mon sens ce qui fait un bon photographe : celui qui ne ramène pas le sujet à lui mais qui va vers lui. Le photographe est aimanté par ce qu'il photographie, il s'agit pour moi d'une fuite en avant. Je l'imagine noyé au milieu d'une foule, saisissant la fugacité des êtres et du temps, ou bien harponné par un lieu l'ayant appelé à lui (car c'est ce que font les lieux, non ?), ou encore en Pygmalion face à sa Galatée, quelle qu'elle soit. La photographie n'a, à mon avis, pas besoin des esthètes timides qui ne cherchent qu'à faire une "jolie" photo. Elle n'a, je le crois, pas (ou plus, peut-être) non plus besoin de ces photographes de la "trouvaille", qui sur-provoquent l'émotion au lieu de la laisser infuser chez le spectateur sensible.

Les rencontres photographiques d'Arles sont comme une chasse au trésor à travers la ville, puisqu'il faut la sillonner pour se rendre dans les divers lieux d'exposition, parfois magnifiques, comme le cloître Saint-Trophime, ou l'Hôtel-Dieu (où séjourna Van Gogh, dont le fantôme règne ici comme il règne à Auvers-sur-Oise). Le nom du festival est bien choisi puisqu'il s'agit bien là de rencontres avec des artistes, des œuvres, des sujets photographiés... Comme dans la vie, elles peuvent souvent laisser de marbre, jusqu'à ce que le miracle se produise. Mais la qualité de la programmation, ainsi que le contexte d'exposition, font que ces miracles se produisent finalement assez souvent ; je rentre d'Arles épuisée. Je n'évoquerai dans ce billet que les rencontres qui ont provoqué quelque chose en moi, de l'ordre du punctum de mon cher Barthes.

Looking For Lenin // Niels Ackermann & Sébastien Gobert

Cette plongée dans l'Ukraine en cours de décommunisation est venue frotter ma fascination pour le fragment, ainsi que mon intérêt pour la question de la mémoire. Ca a été, écrivait Barthes pour évoquer le noème de la photographie. Un monde englouti par la jungle capitaliste, puis nationaliste. Un monde dont il ne reste que quelques morceaux de statues transformées ci et là en œuvres d'art dans le meilleur des cas, reléguées dans un placard derrière une baignoire dans le pire. C'est toute la violence d'une histoire qui se dit ici, à travers les yeux de marbre d'un Lénine figé dans une posture dont l'aspect souverain paraît aujourd'hui bien dérisoire. Le travail de ce duo, exposé dans le sublime cloître Saint-Trophime brille autant par la qualité de ses photos que par le choix des témoignages retranscrits. L'exposition s'ouvre sur un mur recouvert de cartes postales datant du temps de l'époque soviétique et montrant ces statues sous leur plus beau jour. Elle se termine sous des vidéos d'archive montrant ces mêmes statues en train d'être déboulonnées — parfois avec une grande violence.

Krementchouk, 30 mars 2016

Road to Death // Christophe Rihet

Probablement l'exposition qui m'a le plus touchée, cette année, à Arles. Ce photographe s'est rendu sur les lieux où se sont tués des artistes en voiture. Le texte de présentation de l'exposition m'a bouleversée, car il a mis des mots sur des obsessions que je traîne depuis longtemps, et qui me poussent à me rendre souvent sur les tombes des artistes qui sont les plus chers à mon cœur. En voici un extrait :
" (...) La vie moderne repose sur le risque permanent et a l’accident pour essence. Bien que le crash consterne et désole, il ne peut plus être interprété exclusivement comme un arrachement brutal à la vie qu’on a mené, à la manière des anciens cataclysmes naturels qui s’abattaient arbitrairement sur des populations dévastées. Il s’insinue dès le commencement et semble parfois faire de la mort accidentée un couronnement naturel de la vie moderne, faisant des célébrités qui figurent dans cet album les héros tragiques de nos temps modernes, dont la vie était la fleur mais dont la mort est peut-être le fruit.(...)"
Le fait que Christophe Rihet ait pris soin d'évoquer la mort d'un acteur qui m'a particulièrement touchée n'est sans doute pas pour rien dans l'émotion que j'ai ressenti en visitant cette exposition. Anton Yelchin est mort en 2016, écrasé par sa propre voiture dont le frein à main était mal serré. Il avait 27 ans. Je l'avais découvert à 12 ans dans la magnifique adaptation de la nouvelle de Stephen King, Coeurs perdus en Atlandide, réalisée par Scott Hicks. Nous avions le même âge, alors. Mais je suis désormais condamnée à être plus vieille que lui, éternellement.

Anton Yelchin in Hearts in Atlantis

Et guetter, sur son visage, la prescience de la mort qui s'annonçait.

Love Is The Message, The Message is Death // Arthur Jafa

Pour finir, j'aimerais parler de cette sublime vidéo d'Arthur Jafa, montée à partir de divers extraits glanés ci et là, rythmés par une prière rappée de Kanye West. Le rap n'a jamais été ma tasse de thé, mais certains morceaux se distinguent parfois à mes oreilles. Celui-ci, Ultralight Beam, en fait partie. A défaut de pouvoir vous montrer la vidéo d'Arthur Jafa, voici donc la chanson de Kanye West.